Fondée en 1921, Charles Jourdan a plus de cent ans. Trop âgé pour se réinventer ?
Pas lorsque l’audace est chevillée à vos souliers depuis toujours. En 2022, la maison renaît et renoue avec la culture de la créativité qui constitue son identité.

Soyons optimistes

Cultiver la joie, la plus grande des excentricités post-modernes ? Probablement. C’est en tout cas ce qui s’écrit dans l’humour des tons « soft pop », des matériaux étonnants et des lignes fortes du renouveau Charles Jourdan. Une audace de l’amusement inspirée de l’esprit « colorful » des origines qui, dès les années 1920, accompagne l’émancipation des femmes et de leur style. Quelques centimètres de talons, des teintes et des peausseries osées qui assoient l’assurance de celles qui sortent, dansent, conduisent, lisent, voyagent... et s’amusent. L’heure est aujourd’hui à la définition de féminités nouvelles et Charles Jourdan y glisse tout son optimisme. Joyeux, le Charles Jourdan d’aujourd’hui n’en n’oublie pas pour autant le raffinement et la très belle facture de ses modèles d’hier. Plus que jamais, le luxe se niche dans les détails, servis par le savoir-faire et l’excellence des meilleurs maîtres bottiers italiens.

« Charles who ? »

Il est possible que le nom de Charles Jourdan vous évoqueprincipalement une chaussure pour femme au luxe classiqueet discret. Laissez-nous alors vous compter tout le panached’un homme dont les souliers, synonymes de sophisticationà la française, de glamour et de liberté, furent portés par AvaGardner, Sophia Loren, Marilyn Monroe ou Jackie Kennedy.Quelques centimètres pour, toutes, oser s’élever et s’émanciper.Un art du talon et de l’élégance inventé par un fils de cafetierdevenu fabricant de chaussures indépendant dans la Drôme,en 1921, puis patron d’une grande maison – la première à vendredes chaussures françaises aux États-Unis –, dans les années1960. Charles Jourdan, c’est bien de lui dont il s’agit, cordonniervisionnaire doté d’un incroyable savoir-faire, fit de l’audacecréative sa marque de fabrique. Avec, à la clé, un tel succès,qu’il dut recourir à la distribution de tickets numérotés lorsqu’en1957, épaulé de ses trois fils, il ouvrit une première boutiquesise 5, boulevard de la Madeleine, à Paris. Coloré et singulier,l’univers Jourdan est un succès. Et l’une des inspirations fortesdu grand retour de la Maison.

L’art du talon

Torsadé, avec arche, diamanté, bobine revisité, Plexiglass oumême « visage », si un élément définit particulièrement le styleJourdan, c’est bien le talon. Ou plutôt la créativité qui lui estapportée. Dès ses débuts, Charles Jourdan s’inspire du talonCharles XV et Charles IX pour en imaginer un plus petit donnanttoute leur attitude aux femmes des Années folles. Plus tard,dans les 50’s, Charles Jourdan s’adjoint les services – et lesidées folles, elles aussi – du designer toscan André Perugia, quine tarde pas à amincir le talon classique d’après-guerre, puisà le rehausser de huit centimètres. Il invente alors le stiletto, cetalon aiguille qui deviendra l’une des signatures de la maison,outil de pouvoir des femmes et de leur affranchissement. Si,en 2022, l’esprit est plutôt au 6 cm maxi et à la folle libertéde pouvoir poursuivre sa vie, trois talons inspirés des archivesde la maison se font pièces maîtresses des souliers. Œuvresde design, presque architecture, ils rappellent les lignes d’uneEileen Gray, d’une Lina Bo Bardi ou d’un Donald Judd, redonnantà l’art du talon selon Jourdan tout son saillant.

Christelle Kocher,

Directrice Artistique du renouveau

En 2022, pour imaginer sa renaissance, Charles Jourdan confie lesoin de ses nouvelles collections à Christelle Kocher, égalementdirectrice artistique de la Maison Koché. Habituée à questionnerle luxe et obstinée à le rendre vivant et portable, elle confronte,depuis ses débuts, dans les années 2000, la couture au « streetwear ». Pour Charles Jourdan, elle insuffle son optimisme naturelà des modèles colorés « easy to wear », réactualisant l’esprit libredes 70’s à l’heure du digital et de l’onirisme millennial. Textilerépondant au métal, travail de la ligne et grande souplesse, talonet confort, patrimoine et futur : le contraste habille les modèlesdéveloppés par Christelle Kocher pour des femmes invitées àexprimer, elles aussi, leurs différentes personnalités.

« J’ai souhaité restaurer l’audace originelle de la maison, mais en rendant son glamour moins fétiche, en proposant un sexy que les femmes vont se réapproprier, pour elles. Je trouve cela très libérateur, très affirmé, une vraie prise de pouvoir. On peut être très féminine et intello. Il y a une dualité dans la féminité moderne, que je trouve très poétique. C’est ce que j’ai voulu exprimer avec ces teintes pastel. Je crois qu’être pop aujourd’hui, c’est être doux, un peu naïf. »

La communication

pour espace d’expression

Précurseur, Charles Jourdan l’est aussi dans sa manière decommuniquer. Dans les années 1930, son fondateur est ainsi lepremier chausseur à proposer des publicités dans les magazinesde mode, associant son nom à l’univers de la haute couture. Maisonde collaboration avec les artisans et les stylistes, Charles Jourdanl’est aussi avec les artistes et photographes qui ont écrit, à sescôtés, de nouveaux chapitres de l’image. Parmi eux, Guy Bourdinqui, dès la fin des années 1960, inventera pour Charles Jourdanun univers à la fois surréaliste et subversif, révolutionnaire pour uncréateur de souliers. En 2022, c’est la photographe Camille Vivier,son mysticisme et son travail des corps, qui entreront en discussionavec cet héritage visuel. Manière, pour Charles Jourdan, de créer uneconversation entre les époques et d’ouvrir un espace d’expressionà de nouvelles représentations de la féminité.